MISA, LA SOUVERAINE DU 6ÈME CONTINENT
Quand l'univers poétique et créatif se rencontrent, les tectoniques des plaques se rejoignent pour donner naissance au sixième continent. En souveraine accomplie, Misa nous fait la visite guidée de son territoire et de sa conception de l'écologie, de l'art, de la spiritualité.
VOYAGES & TOURISMEARTCAP-VERT
Découvrir Misa, c’est d’abord s’imprégner du langage poétique, des envolées lyriques qui ponctuent son verbe. Pour cela, il vous faudra préalablement puiser dans votre propre perception sensitive et répertoire émotionnel.
Une fois, son empreinte laissée sur vous, la magie opère et vous rentrez de plain-pied dans son territoire.
Elle en est la souveraine et le seul agrément qui est demandé sera de laisser la porte de son cœur et de son esprit ouvert. D’ailleurs, elle le dit elle-même : Son rêve est de rentrer en tout un chacun et trouver la porte du cœur. Ainsi, la résonance mais plus encore l’énergie de ses mots se fraient un chemin jusque dans nos interstices pour défricher le langage du cœur, souvent embastillé dans son impénétrabilité, dans les rouages d’une rationalité mécanique. Ainsi, chacune de ses phrases exige de nous, un traitement émotionnel avant un traitement rationnel de l’information qu’elle nous délivre.
Son langage poétique est un ensemble de sonorités, où ni morna, saudade ou encore coladeira [1]même jouées ensemble, ne peuvent rivaliser et s’accorder avec la puissante et rythmique partition des battements de nos cœurs. Mais cela, nous le découvrons au fur et à mesure des échanges partagés avec elle.
Communiquez avec Misa et vous apprendrez à écouter la tonalité de chaque personne. Une fois le contact émotionnel établi, Misa vous instillera l’idée de la conscience créative. Ce n’est quà ce momentque vous serez prêts dès lors, à vous arrimer sur les rives du sixième continent émergent et à en parler la langue vernaculaire, celle du coeur.
Fouler le sol du sixième continent, c’est participer à l’édification humaine à travers l’art, c’est œuvrer pour éveiller les sens et l’essence humaine.
Certains la disent poète, d’aucuns la disent peintre.
En vérité, elle n’est rien de tout cela. Elle arbore son drapeau d’activiste culturelle. La peinture, la poésie ne sont que les matériaux mis à sa disposition pour répandre, ce qu’elle nomme le langage caché de l’écologie de l’amour. Elle se dit activiste culturelle, pourtant elle est avant tout, une activiste humaniste qui a percé le secret de l’art : celui de nous mettre au diapason de nos coeurs et d’avoir un accès à sa lumière et expression intérieure.
Mais elle constate et le dit elle-même, non sans une incorruptible foi, qu’il est « dur de s’occuper du Cœur quand la plupart sont occupés à nourrir leurs ventres ». Elle n’est donc pas une fantasque, excommuniée des réalités. Bien au contraire, son utopie se nourrit d’expériences, d’observation, d’évidence, de lucidité, qu’elle ancre dans chacune de ses actions et projets. Mais voilà un proverbe qui lui sied à merveille « L’utopie n’est pas l’irréalisable mais l’irréalisé ».
C’est d’ailleurs une de ces évidences propres au Cap-Vert qui exerce une forte influence sur chacune de ses démarches : Le Cap-Vert est le pays de la Morabeza, de l'accueil.[1] L’art est omniprésent sans y être pourtant manifeste. L’art au Cap-Vert est comme les Capverdiens, discret, enclavé. C’est tout le paradoxe de cet archipel. Une grande ouverture aux autres mais un enclavement artistique.
DÉTERMINISME CULTUREL POUR SORTIR DE L’ENCLAVEMENT
Il y a encore quelques dizaines d’années, l’art reliait les Capverdiens au monde entier. Peu après l’indépendance du Cap-Vert, dans les années 70, un groupe de peintres et artistes[1] divers s’était organisé en coopérative pour créer le Centre National de l'Artisanat de Mindelo, actuel Musée d’art traditionnel. Ceci afin de créer un pont culturel avec le monde, ceci afin de promouvoir les arts traditionnels du Cap-Vert. Les activistes culturels se démenaient, déjà à l’époque, pour ne pas laisser en friche ce capital sous-exploité, pour participer et rendre manifeste, la survivance, la renaissance des arts de cet archipel insulaire.
C’est ainsi que Mindelo devint le haut-lieu culturel du Cap-Vert et fut promue capitale culturelle de la lusophonie.
Il fallait au moins cela car, à l’époque et encore plus aujourd’hui, la promotion de la culture au Cap-Vert est loin d’être une priorité. Seule exception faite à la discipline musicale qui, aujourd’hui, se pare de quelques outils pour défendre et garantir les droits des musiciens[1].
Normal, la fête avant l’art ou la culture ! Raison pour laquelle la musique a pris tant de place au Cap-Vert. Malgré tout, Il fallait désenclaver les routes de l’art, déconfiner culturellement le pays, engoncé dans ses exclusives références musicales au point de laisser les autres disciplines artistiques, orphelines de tous points d’appui.
Triste constat : A l’époque déjà, il n’existait au Cap-Vert aucun mécène, aucune structure de soutien aux artistes, et aujourd’hui encore, peu de média, peu d’institutions officielles [2]proposant des bourses ou du sponsoring aux artistes cap-verdiens.
Les quelques structures balbutiantes, centres ou ateliers de photographie, de peinture ou autres comme l'Atelier Coopatec, (centre coopératif reconnu d'utilité publique et qui formait une vingtaine d'enfants aux techniques de la céramique) sont aujourd'hui en ruines ou ont finalement été désertées, fermées réaffectées. Oui, il fallait au moins cela pour maintenir l’embryonnaire fil culturel qui reliait les Capverdiens à eux-mêmes et aux autres.
Même, l’institut culturel français de Praia, chef-lieu d’échanges culturels, d’ateliers et de résidences culturelles fut fermé, il y a peu. Le volet culturel dont bénéficiait l’institut, situé en plein cœur du centre historique de la capitale capverdienne, jouait un rôle essentiel offrant de nombreuses activités culturelles (concerts, expositions, projections de films, formations).
Heureusement, le partage est capverdien et les ressources intérieures de ces derniers sont plurielles. Nullement question de consacrer cette logique d’immobilisme culturel, il faut créer son propre éventail de solutions.
Beaucoup d’artistes expatriés dans les pays limitrophes ayant percé, auraient pu seulement, se contenter de jouir de leur succès dans les pays qui eurent les moyens de reconnaitre leurs talents. Ainsi, oui, les quelques artistes reconnus qui ont réussi à se faire un nom à l’extérieur, font ou ont fait leur propre école au Cap-Vert, selon leur don respectif.[1] Serait-ce par tropisme culturel ?
Aujourd’hui, les quelques évènements et résidences sont nées d’abord et avant tout de la volonté farouche des anciens d’enseigner, partager et promouvoir leur discipline artistique et leur culture.
De peintres, ils devinrent des activistes culturels pour ne pas laisser le Cap-Vert devenir un no man’s land culturel. Il faut être une personnalité publique[2] déjà versée dans le milieu artistique pour donner de la validation et du crédit aux démarches.
Sans cela, comment transmettre, créer sa propre école pour faire perdurer les arts ? Frapper aux portes, demander des financements, souligner l’intérêt général des initiatives pour le pays, il faut au Cap-Vert, une sacrée dose de force et de persévérance au vu de la place accordée aux arts et à la culture (hormis la musique très récemment). Ce n’est pas tant un manque d’intérêt de l’État qu’un manque de moyens et un ajustement légitime des priorités nationales.
C’est à ce point d’intersection que Misa se trouve aujourd’hui, car elle aussi est décidée à ressusciter le lien du Cap-Vert, lien avec le monde. Liant entre les anciens artistes du Cap-Vert et les nouveaux émergents, entre l’État et les moyens, et enfin entre les Capverdiens et leur culture. Son Curriculum joue en sa faveur et lui permet d’ouvrir plus de portes que n’importe quel quidam, même doté d’une volonté immuable.
MISA, UNE DIGNE DESCENDANTE D’AMILCAR CABRAL ?
Lorsque je pense à Misa, je ne peux m’empêcher de penser à Amilcar Cabral pour qui, je cite, « la culture n’est pas un simple artéfact ou qu’une expression esthétique, de coutume ou de tradition. C’est un moyen de proclamer et d’inventer son humanité, un moyen d’affirmer le pouvoir d’agir, de maintenir sa culture vivante et de maintenir aussi l’idée d’universalité humaine. »
Misa étend la définition et va plus loin, la culture, les arts peuvent et doivent être le « promoteur » et « l’élément unificateur » de la société Capverdienne mais aussi de l’ensemble des sociétés. Universalité humaine sous la houlette de l’art ! Et sans conteste, elle s’y attèle avec une détermination incorruptible. Elle aspire à montrer les multiples couches de l'héritage culturel qui sont représentés dans chaque toile, au cœur de chaque Capverdien mais aussi au sein de chaque être.
Après Mindelo, capitale culturelle lusophone, Misa cherche à faire de Porto Madeira la capitale culturelle du 6eme continent.
LE 6ème CONTINENT
S’il y a bien un endroit où l’ambitieuse idée d’un 6eme continent peut émerger et devenir réalité c’est bien le Cap-Vert, carrefour multiculturel entre l’Europe et l’Afrique.
D’un métissage ancré et initié dans la douleur, la souffrance, l’ignominie et la barbarie humaine de l’esclavage, de la polygamie des prêtres et son cortège d’enfants reconnus on non-reconnus, l’histoire du Cap-Vert se prête, malgré les apparences, à tous les pré-requis pour abriter le sixième continent.
Misa a bien compris qu’on n’efface ni n’oblitère les affres de l’histoire, on ne négocie pas non plus avec, on n’édulcore pas, ni ne dramatise le passé d’un pays. Bien au contraire, on le réactualise, le complète avec ce qui a pu à l’époque lui faire défaut, tout en préservant son essence. Et l’essence du Cap-Vert est incontestablement son métissage.
Ainsi, la création de ce sixième continent présage une triple vocation : Identitaire, artistique, et historique.
D’abord identitaire « en créant un continent sans frontières, sans papier, sans couleur pour mettre en avant le métissage de la connaissance ». Il s’agit ni plus ni moins de pouvoir nous définir autrement que par l’appartenance à un pays, à une couleur, une race, de nous défaire des limitations posées et imposées par des éléments extérieurs pour retrouver notre centre humain.L'idée étant de nous définir non pas, par rapport à ce qui nous différencie mais à ce qui nous unit et nous relie.
Elle n'exclue pas pour autant nos différences. Le but n’étant pas de dissoudre nos idiosyncrasies mais de les enrichir, le sixième continent se veut être également une grande plateforme collaborative pour commémorer les atouts artistiques de chaque continent. La pluralité dans l’unicité et l’unicité dans la pluralité.
C’est d’ailleurs à travers ses nombreux voyages qu’elle a pu relier les points qui nous réunissent : Du brésil à L’Italie, de la Suisse à la France, Du Portugal à la Côte d’Ivoire. Elle est, l’exploratrice souveraine du 6ème continent.
A travers ce projet, Misa ne fait pas que cultiver la culture, elle arrose le jardin créatif de tout un chacun et aspire à créer cette autre manière de vivre ensemble.
Enfin, Misa développe l’idée de puiser dans son héritage pour le transcender. Transcender une histoire, une identité, un destin en juxtaposant une nouvelle histoire à la douloureuse histoire du Cap-Vert.
A travers ce projet, elle s’affranchit de l’amère histoire et sémantique du commerce triangulaire, pour y suppléer la création triangulaire ou le commerce artistique triangulaire (art, culture et spiritualité). Une façon de rebaptiser et d’enlever à cette association de mots que sont le commerce triangulaire, sa charge négative. Une façon d’avancer dans l’histoire autrement.
Elle fait de son projet un tryptique gagnant pour tous : population locale, artistes, voyageurs.
Misa est une itinérante, bien qu’elle bivouaque sur les terres du cœur et c’est bien grâce à ces deux aspects, qu’elle peut poser les jalons de son projet.
Ce vaste projet se veut être un prolongement de sa première grande Odyssée créative, le village des Rabelados « rebelles ». Après avoir été persécutés pendant plus de 20 ans pour avoir voulu maintenir leur propre idée de la spiritualité, pour finalement être oubliés de tous, Les Rebelados vécurent en totale autarcie.
Après une longue période d’observation, Misa décide de ressusciter ce village relégué aux confins de l’histoire.
Ainsi, sa vision chevillée aux corps, et dotée de sa combativité, elle s’attèle dès lors, à mettre en place les infrastructures nécessaires (l’eau, le téléphone, l’électricité) puis crée un atelier de peinture avec les jeunes du village.
L’adhésion de la communauté à cette ouverture artistique permet par la suite, la création du RABELART, village créatif qui met à l’honneur la culture traditionnelle des habitants du Rabelados.
Elle fait se rencontrer la petite Afrique du Cap-Vert aux différentes iles. Elle crée un pont entre le milieu rural Capverdien et le milieu citadin.
C’est ainsi que pierre après pierre, émulation après émulation, expression artistique après expression artistique, le village des Rabelados[1] est inauguré et reconnu en 2005 comme étant 1er village d’art traditionnel du Cap-Vert.
La poésie du cœur, fil rouge et pierre angulaire des actions que portent Misa, a tracé un sillage dans le cœur des Rabelados :
Le résultat s’impose : en parallèle de la reconstruction du village, s’est intercalé un processus de réappropriation. Reconquête de soi, d’amour de soi, de leur culture et de leurs traditions. Les Rabelados aujourd’hui, après avoir été pourchassés, annihilés, affichent avec fierté, leurs différences, leur renaissance, leur existence.
LA VISION
Ce sixième continent, prolongement de ses antérieures prouesses, permettra de réaliser d’autres villages artistiques et de recevoir des artistes en résidence où les artistes vivront directement avec les habitants du village. Elle n’en est pas à son coup d’essai quant aux créations de résidence d’artistes.[1]
De cette plateforme, chaque continent serait ainsi relié aux îles de l’archipel :
L’Afrique et l’île de SANTIAGO
L’Amérique avec l’île de BRAVA
L’Europe avec l’île de BOA VISTA
L’Asie avec SAO NICOLAU
L’Océanie avec l’île de MAIO
Bien sûr, les échanges inter-îles et interculturels constitueront ce sixième continent.
Des activités plurielles pour mettre la femme à l’honneur, la poésie, la peinture, les arts en tous genres et accessoirement la restauration des maisons.
Le site déjà inauguré en 2008 en présence de diverses personnalités Capverdiennes et ambassadeurs étrangers, est un incroyable chantier qui appelle à la mobilisation de toute l’intelligence émotionnelle et humaine, créative de chacun pour une autre façon de vivre, de créer, d’aimer.
Décidément, le Cap-Vert, porte en son sein des personnalités passionnées que je me propose de vous faire découvrir.
Alors, décideriez-vous d’embarquer sur ce sixième continent, pour découvrir l’essence du monde ?
NOTES
[1] La morna, style musical datant de l’’époque de l’esclavage, permettait aux Cap-verdiens, souvent en exil ou sur le départ, d’exprimer leur saudade, cad la nostalgie de leur famille et de leur pays. Coladera, version accélérée et dansante de la Morna.
[2] La morabeza est une philosophie de vie typiquement Capverdienne faite d’hospitalité et douceur de vivre
[3] Dont les célèbres Manuel Figueira, Bela Duarte, Luísa Queirós
[4]Depuis 2013, avec la création de la SCM, la Sociedade Cabo-verdiana de Musica (Société Capverdienne de Musique), le Cap-Vert a pris conscience de l’importance de la musique comme moteur économique du Cap-Vert et a décidé de défendre les droits des artistes et ce n’est que depuis 2018 que cette dernière a commencé à reverser leurs droits aux artistes.
[5] Il existe quelques structures ou résidences artistiques, comme la Catchupa Factory, destinée aux photographes et vidéastes issus de pays africains de langue portugaise.
[6) Exemple de João Cleofas Martins, écrivain et photographe Capverdien, connu aussi sous le pseudonyme de Nhô Djunga qui fondât en 1931, Foto Progresso à Mindelo pour former les jeunes Capverdiens à la photo. Foto Progresso, n’existe plus aujourd’hui.
[7] Misa a reçu en Suisse le prix international de la Fondation sommet mondial des femmes (WWSF) en 2007 pour son travail créatif et patrimonial avec les Rabelados1 du Cap-Vert et le premier prix d’art contemporain de San Remo en Italie.
Elle a également publié un recueil de poésies : https://www.editions-harmattan.fr/livre-oublie_moi_l_amour_prose_poetique_misa-9782343246291-71571.html
[8] https://www.aupaysdubaobab.com/blog/les-rebelados-du-cap-vert
[9] Elle a exposé en France, en Italie, au Portugal, en Suisse, au Luxembourg et au Cap-Vert. Elle a séjourné dans des résidences d’artistes en Égypte, en Italie, au Brésil et en Côte d’Ivoire